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Altitude

Le 9 mai 2023

La très haute altitude est un monde sauvage, fréquemment austère souvent extraordinaire par les paysages, les couleurs, les ambiances hors normes qui régissent les lieux. La météo conditionne l’appréciation que l’on fait de l’instant présent. Le froid, le vent, le grésil, la neige rendent pénible l’ascension, le montage des tentes, la vie en général en très haute altitude et la vie en particulier sous la tente. Une vie peuplée d’attente, de longs moments allongés dans le duvet à regarder les demi-heures s’écouler à leur rythme de croisière, pas plus pressées les unes que les autres. Le temps n’a pas d’emprise sur l’Himalaya, ou alors à une autre échelle que celle de l’humanité. Il faut laisser filer ces heures creuses au chaud dans le duvet, ballotté par les rafales de vent, admirer l’intérieur de la tente, douce chambre froide où tout gèle, les lunettes, les chaussures, les duvets. Se faire réveiller sans cesse dans la nuit par les cristaux de glace qui tombent sur le visage, exactement à l’endroit laissé libre pour la respiration, une ouverture de 10 cm 2 entre les yeux et le nez. C’est rafraîchissant, mais surprenant dans la nuit himalayenne.
Surtout, accepter la très grande promiscuité avec son compagnon occidental ou Nippon. En l’occurrence, le mien est Nippon et répond au nom de Wang, donc je suis son alter ego occidental. On partage une tente, ainsi les rôles.

Je suis à l’ouverture de la tente pour toutes les contingences matérielles, même les plus humaines. Je suis
le portier sur le froid polaire qui règne dans la nuit himalayenne lorsque sonne l’envie pressante d’aller uriner. On n’urine pas en intérieur dans « la pipi Boottle » devant son voisin européen ou Nippon. Non, Madame, on sort. Nous avons un peu de considération pour nous-même et un peu d’ego. Et pour sortir par moins 25°, c’est tout un protocole (bottes d’altitude, doudounes, bonnet, frontale…) pour ne pas geler ou faire geler ce qui nous reste de masculinité à ces altitudes et à ces froids himalayens, presque arctique. La surprise est de taille à 5 heures du matin dans la nuit himalayenne. Non Madame, pas la masculinité minuscule qui préoccupe notre sortie nocturne, mais bien la lune qui illumine la nuit himalayenne, roule sur les sommets et donne aux paysages un éclairage sublime, presque intergalactique, « comme une aurore polaire inondant le désert glacé de ses lumières féeriques ». Honoré de Balzac

La nuit étoilée, promesse d’une journée ensoleillée mais venteuse interdit toute tentative de progression vers le haut. Il sera donc possible de jouer avec l’engin volant appelé drone pour quelques tentatives de photos encore plus aériennes. Malheureusement, nous sommes dans un parc naturel et l’engin volant subit des restrictions de vol en altimétrie (30 m) et horizontalité (50 m), là où il aurait pu voler à plus de 200 m en hauteur et en longueur. Nous n’aurons pas les perspectives attendues de la mission spatiale. Pour autant, nous sortons caméras et IPhone pour immortaliser ces heures sublimes où le soleil, l’azur et le blanc se côtoient dans un festival de beauté, de magnificence, de splendeur. Nous sommes seuls à cette heure dans la montagne à découvrir et à parcourir le livre des paysages qui nous est offert par la nature. C’est une ode au bonheur. Un bonheur pur, simple. Un bonheur de privilégié, que nous sommes allés chercher sur cette immense montagne, sauvage si peu fréquentée du fait de son éloignement, de sa difficulté, de son engagement. Je suis heureux de découvrir enfin ce que veut réellement dire le mot Himalaya : la nature à l’état pure. La place de l’homme y est réduite à sa part la plus congrue. Nous ne sommes pas forcément les bienvenus en ces territoires sauvages où règne le froid, le vent, le manque d’oxygène, et la montagne nous le fait savoir. Il faudra encore attendre avant d’avoir une fenêtre météo acceptable. En attendant, les jours défilent inexorablement vers la fin de la saison des hauts sommets, vers le début de la mousson d’été.
Nous redescendons pour attendre une fois de plus.